19 mars 2016

Interview Francis Klotz – Le Concours Médical

Quel espoir pour la santé rurale en Afrique
Une interview du Pr Francis Klotz, professeur au Val-de-Grâce, président de l’association Le Kaïcedrat pour le magazine “Le Concours Médical” – Mars 2016

Pour appréhender les besoins des zones rurales africaines en matière de santé, il faut s’immerger dans ces régions difficiles d’accès, en comprendre les traditions et la culture, mesurer les carences et les priorités pour envisager des actions efficaces et pérennes.

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Loin du goudron, sur les méandres de la piste, les villages s’égrènent, se ressemblant comme des frères avec leurs concessions, leurs cases au toit de paille, leurs enclos enfermant ovins et caprins, leurs enfants s’égayant autour des marigots, les femmes occupées par le puits ou en train de piler le mil pour préparer le repas. Au gré des petits chemins du village on ne trouve bien souvent pas de latrines auprès des cases. La pauvreté est prégnante.

L’association Le Kaïcedrat* a choisi de s’investir dans cette zone, en agissant dans une région rurale très défavorisée au Sénégal oriental. Mais pourquoi s’intéresser au développement des communautés rurales dans un pays d’Afrique sub-saharienne où les élites sont présentes de manière incontestable ? Pourquoi choisir la région la plus pauvre et la plus aride du Sénégal ? Car les populations du Sénégal oriental, en grande majorité rurales, vivent dans des conditions difficiles avec des contraintes climatiques très importantes, avec peu de ressources financières, avec un accès aux soins rare et lointain ; car un paysan de cette région est en moyenne à plus de 40 kilomètres d’un poste de santé sommairement équipé. La mortalité materno-infantile est encore sévère, la morbidité due aux grandes endémies est toujours importante, l’accès à l’hygiène domestique élémentaire est peu fréquent.

Des équipes mobiles médicales

Le concept des équipes mobiles médicales associant infirmier, sage-femme et éducateur sanitaire, a donc été repris par notre association. Le centre de développement com- munautaire de Bala, situé au Sénégal oriental dans une des régions les plus déshéritées du pays, a été créé pour être le pivot des équipes mobiles médicales. Celles-ci tournent avec un chronogramme prédéfini dans 40 villages hors de la route goudronnée.

Ce concept très ancien est déjà retrouvé dans une lettre du vizir Ali Ben Issa à Simon Ben Thabet, premier médecin du calife de Bagdad (IXe siècle) : « J’ai pensé que les campagnes doivent avoir, elles aussi, des malades manquant de médecins pour les soigner. Il faut donc leur en envoyer, avec ample provi- sion de médicaments, qu’ils séjournent dans chaque localité le temps nécessaire et qu’ils se transportent partout. »

Il fut remis au goût du jour par le Dr Eugène Jamot qui l’appliqua dans la lutte contre la trypanosomiase en Afrique centrale dès 1917

Il s’agissait d’aller partout, de visiter toute la population, d’extirper le mal à sa racine en dépistant et en soignant.

« La prophylaxie médicale proprement dite vise à détruire par les moyens chimiques le virus en circula- tion dans le sang des malades. Pour réaliser ce but, on doit rechercher les malades, les soigner et si possible les guérir. Cela implique l’exploration minutieuse pério- dique de toutes les zones infectées… Et il ne s’agit pas de faire, au cours de tournées rapides, des diagnostics approximatifs, suivis de traitement insuffisant ou inu- tile, mais de visiter et de revisiter successivement tous les villages, d’en examiner un par un tous les habitants et de faire, sur la base du diagnostic microscopique, le recensement nominatif de tous les indigènes trypano- somés qui recevront ensuite le traitement approprié à leur état. » (Eugène Jamot, communication à la Société de pathologie exotique, 12 mai  1920).

Nos méthodes sont identiques, nos buts sont un peu différents car nous ne nous attaquons pas à une endémie en  particulier, mais nous cherchons par une action répétitive et pérenne à : assurer l’éducation sanitaire élémentaire des populations et améliorer l’hygiène générale ; dépister les maladies transmissibles; surveiller l’évolution des grossesses et la santé des jeunes enfants ; traiter les urgences médicales ; évacuer les urgences chirurgicales.

Des agents de santé communautaire

L’efficacité d’une telle entreprise nécessite une formation spécifique d’agents de santé communautaire choisis dans chaque village qui sont les relais dans les cases de santé pour rendre efficace le quadril- page du terrain selon le système de « la toile d’araignée », avec passage de l’équipe mobile médicale à jour donné dans chaque village selon un chro- nogramme précis, connu des agents de santé et des chefs de village.

Ces agents de santé communautaire ont pu être identifiés dans ces communautés rurales, mais seuls trois d’entre eux savent lire et écrire en français. Néanmoins les autre sont alphabétisés en pulsar (langue peulhe) qui est la langue la plus parlée dans la région. L’idéal est de pouvoir identifier des couples avec une complémentarité efficace, le rôle de la femme étant important dans le dialogue avec les autres femmes du village.

Les chefs de village ont tous promis de construire une case de santé, condition préalable au passage régulier de l’équipe mobile. Elles ont toutes été construites.

Projeter la connaissance et la santé au bout de la piste   loin de la route goudronnée, là est notre but. Les infirmiers  et les sages-femmes de nos équipes mobiles sont expéri-  mentés et compétents en santé publique. Ils font à chacun    de leur passage une causerie rassemblant les villageois pour leur parler d’un thème d’éducation sanitaire choisi en fonc- tion des besoins et des saisons. Les soins de santé primaire sont effectués, les consultations pré- et postnatales sont assurées, de même que la prise en charge des enfants pour leur suivi et leurs vaccina- tions. L’équipe passe dans chaque village deux fois par mois. Chaque case de san- té est équipée d’une table d’examen et d’une boîte de première urgence. Le véhicule 4×4 transporte médicaments, vaccins et matériel d’examen.

Les agents de santé communautaire sont recyclés une fois par mois au centre de Bala par le médecin chef du centre et les infirmiers.

L’activité de la maternité du centre est soutenue, 80 % des accouchements de la zone y sont réalisés. Les consultations de planning familial souvent freinées par des considérations culturelles et religieuses sont en développement. Neuf pour cent des femmes en âge de procréer suivent une méthode contraceptive (12 % sur le plan national, 4,5 % dans la région de Tambacounda) et 91 % ont opté pour une méthode de  longue durée souvent administrée en secret.

La pathologie rencontrée est celle du dénuement : malnutrition, dermatoses de l’enfant, diarrhées, infections respiratoires aiguës et, pendant la saison des pluies, le paludisme.

Ce paludisme à Plasmodium falciparum fait des ravages, surtout chez les enfants et les femmes enceintes. Une régression sensible est cependant notée ces dernières années grâce à la mise en place des tests de diagnostic rapide réalisés par les agents de santé et par la distribution gratuite des antipaludéens. La prévention a une large place avec l’éducation sani- taire et la distribution des moustiquaires imprégnées priori- tairement  aux parturientes.

Trois ans d’activité de nos équipes mobiles ont amélioré très sensiblement le niveau de la santé dans les 40 villages que nous sillonnons en partenariat étroit avec le système de santé publique.

Un projet d’équipe mobile légère avec une sage-femme et un chauffeur muni d’un véhicule 4×4 léger attaché à un poste de santé publique est en cours d’évaluation dans 20 villages d’une zone de transhumance éloignée du Sénégal oriental.

Sa reproductibilité sera possible si nos résultats sont probants et ceci pour un coût moindre que celui de nos équipes mobiles attachées au centre de Bala.
Ce développement du concept d’équipe mobile médicale en zone rurale africaine nécessite une bonne préparation, une évaluation des besoins de la zone concernée, un choix judicieux des infirmiers responsables d’équipe, une formation continue des agents villageois de santé communautaire et un contrôle très régulier de superviseurs sur le terrain.

La pérennité de l’action nécessite un partenariat étroit avec la santé publique. • que nous sillonnons en partenariat étroit avec le système de santé publique.

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Aidons-les ensemble

Faire un don pour aider les mères et leurs enfants au Sénégal Oriental à bénéficier d’une alimentation suffisante et équilibrée, de soins simples et efficaces, d’un suivi de leurs vaccinations, d’une éducation sanitaire élémentaire nécessaire à leur développement.