Après l’indépendance, l’Etat Français a mis en place une assistance médicale importante, principalement en Afrique de l’Ouest. La coopération de substitution a permis de faire fonctionner les systèmes de santé et de grands hôpitaux principalement dans les capitales. Près de 50 ans après les indépendances, peu de structures continuent à fonctionner de manière satisfaisante. L’Hôpital Principal de Dakar, d’un modèle très particulier, paraît avoir les atouts pour rester la référence médicale à l’heure du partenariat sous la direction de responsables nationaux.
Information communiquée à l’Académie Nationale de Médecine
lors de la séance du mardi 5 juin 2007 à Paris par Francis Klotz
Lors des indépendances, l’Etat Français a mis en place dans les pays devenus souverains qui le désiraient, un vaste réseau de coopération de substitution des cadres coloniaux disparus, destiné à assurer la transition avec la formation de nationaux afin de continuer à faire fonctionner les structures.
En matière de santé, cet effort a été particulièrement important et efficace.
Cette coopération a évolué, se réduisant, changeant de forme, s’adaptant parfois mais pas toujours à l’évolution du pays concerné. La coopération hospitalière, très vivace dans les vingt cinq années de la période post-coloniale, se réduisit rapidement en Afrique francophone pour arriver au début du XXIème siècle à une coopération de projets et de partenariat menée par le Ministère des Affaires Etrangères.
Le bilan de cette coopération en matière de santé, près de 50 ans après les indépendances, est inégal et délicat à évaluer. Si des élites médicales ont été formées, les conditions socio-politiques et culturelles de nombreuses régions ont entraîné une régression des programmes d’amélioration de la santé publique et une gestion difficile des structures hospitalières. Dans de nombreux domaines, on a l’impression regrettable que « l’émulsion n’a pas pris », que les décalcomanies structurantes européennes appliquées sur ces régions en matière de santé se sont décollées au départ de l’assistance technique.
Dans le cadre de l’Afrique Noire Francophone, plusieurs formations hospitalières de grande taille avaient été développées, la quasi-totalité de ces établissements est en grande difficulté.
Un modèle original est intéressant à connaître et à préserver : l’Hôpital Principal de Dakar !
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Cet établissement est intimement lié à l’histoire de l’Afrique de l’Ouest et du Sénégal ; il est lié également au spectre de la fièvre jaune !
Au XVIIIéme et XIXéme siècles, les européens vivaient à Gorée, cette petite île située à environ un mille nautique de Dakar. Cette population fut régulièrement décimée par des épidémies de fièvre jaune dont la première en 1778. L’Ambulance de Gorée, trop petite, fut suspectée d’entretenir cette fièvre mortelle dont on ne connaissait pas la cause. L’épidémie de 1878 décima la population dont 22 des 26 médecins et pharmaciens militaires et décida les autorités à entreprendre la construction d’un hôpital digne de ce nom sur le continent. Progressivement à partir de 1880, des bâtiments vont être construits. L’inauguration de ce qui est encore appelé à l’époque : l’ambulance a lieu en 1884. Ce sont des bâtiments à un étage, de style colonial, situés autour d’un jardin, sur le plateau, à distance du port et des zones marécageuses.
L’hôpital principal portera son nom à partir de 1912 en tant qu’hôpital colonial dédié aux soins du corps expéditionnaire français. L’assistance médicale gratuite était à cette époque assurée à l’hôpital indigène, ancêtre de l’actuel Centre Hospitalier Universitaire Aristide Le Dantec, situé à environ 500 mètres de l’Hôpital Principal.
Les épidémies et les guerres vont forger l’histoire de l’hôpital principal qui s’agrandit au fil du temps pour absorber les malades de Dakar mais aussi les tirailleurs sénégalais blessés et convalescents des expéditions et des grandes guerres.
Après la guerre de 1914-1918, l’hôpital s’étendant sur six hectares, acquière sa taille et son aspect actuel. Une galerie conçue par le médecin général L’Herminier fait ressembler le cœur de l’hôpital à un cloître, l’adjonction de la maternité, du pavillon des dames et de la pharmacie clôture les grands travaux. Seuls des bâtiments annexes seront ajoutés par la suite.
En 1925 pour une telle formation seuls 4 médecins et 2 sage-femmes constituent le personnel médical diplômé.
Cette structure sanitaire vivra les épidémies de fièvre jaune jusqu’à l’avènement du vaccin en 1939. les mouvements de navires et les corps expéditionnaires amenèrent la peste et le typhus ; la tuberculose se développa, la lèpre était très présente. Un lazaret annexe de l’hôpital était fonctionnel au Cap Manuel situé à environ 1 kilomètre de l’Hôpital Principal.
En 1958, à la veille de l’indépendance, l’hôpital est toujours militaire mais soigne déjà pour une grande part des civils. Il est sous l’autorité du général commandant les troupes en Afrique occidentale française, il émarge au budget de la France d’Outre Mer. Structure de 518 lits, son personnel comporte 650 personnes dont 181 français.
Après l’indépendance, en 1960, il restera français avec les difficultés financières de l’autofinancement. En 1971, une convention franco-sénégalaise clarifie la situation, plaçant l’établissement sous la double tutelle de la République Française et des forces armées sénégalaises. Terrain, bâtiments et matériel sont remis au Sénégal, tandis que la France garde la direction et la gestion avec pour mission de faire de cette formation :l’Hôpital d’Instruction du Service de Santé Militaire Sénégalais et de former les médecins et pharmaciens militaires du pays aux différents degrés de spécialisation hospitalière sur le modèle du service de santé français.
En 1983 devant les difficultés financières liées à l’autofinancement dans un pays en voie de développement, le ministère français de la coopération prend en charge le salaire des assistants techniques. Malgré l’insuffisance de la trésorerie l’hôpital s’équipe en matériel médico-technique moderne. L’entretien des infrastructures s’avère difficile.
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Dans les années 90, la coopération de substitution est remise en cause, devant l’augmentation du nombre de cadres médicaux nationaux formés. En 1998, l’établissement compte 660 lits répartis en 27 services, 1000 employés dont 28 officiers français et 38 officiers sénégalais.
En décembre 1999, une nouvelle convention franco-sénégalaise est signée stipulant les termes du transfert des responsabilités financières au Sénégal. La loi 2000-01 du 10 janvier 2000, fait de l’hôpital un établissement public de santé à statut particulier et confirme son rôle d’hôpital d’instruction des armées sénégalaises .
La convention sera renouvelée en février 2005 pour 4 ans, pérennisant le partenariat et formalisant le transfert progressif des postes de responsabilités et de gestion à la partie sénégalaise.
En 2007, l’hôpital principal s’est encore modernisé, la réfection des infrastructures est en cours, deux scanners fonctionnent et un appareil de résonance magnétique nucléaire de 1,5 teslas vient d’être installé. Un effort important est fait sur l’accueil du patient. Le parc hospitalier est passé à 420 lits ; 1170 personnes travaillent dans l’établissement dont 70 officiers sénégalais, parmi lesquels on trouve 65 praticiens hospitaliers militaires dont 26 assistants, 30 spécialistes formés à Dakar et 9 professeurs agrégés ayant passé leur concours à l’école du Val de Grâce à Paris. Si en 1970, 72% du personnel était sénégalais, en 2007, la prise en charge à tous les niveaux par du personnel sénégalais est la règle. 90% des chefs de service et de départements sont des nationaux. Seuls restent présents 14 assistants techniques français dont le directeur, le gestionnaire, le pharmacien chef et des spécialistes experts dans les domaines de la biologie, l’anesthésie réanimation, la chirurgie et l’ingénierie biomédicale.
L’établissement est résolument tourné vers la formation sous l’autorité du directeur adjoint, professeur agrégé sénégalais. Près de 700 stagiaires sont reçus annuellement dont 170 étrangers, français pour la plupart. De nombreux étudiants du Centre Hospitalier Universitaire de Dakar viennent en stage dans les différents services. Les réunions inter-services et les séances d’enseignement post-universitaire thématiques mensuelles sont très fréquentées, de même que les journées médicales de l’hôpital principal qui attirent plus de 400 participants tous les ans.
L’engouement suscité par les stages au profit des étudiants étrangers et français en particulier qu’ils soient civils ou militaires est très important. Les capacités d’accueil sont dépassées car dans cet hôpital se mêlent : la volonté constante de qualité des soins et de modernité des techniques et des thérapeutiques, au parfum d’un établissement authentiquement africain avec ses facettes socioculturelles spécifiques qui permettent au stagiaire étranger à la curiosité intellectuelle aiguisée d’ouvrir une fenêtre transculturelle qui lui sera particulièrement utile dans son exercice futur.
Il repartira vers la pratique de la médecine occidentale en sachant que tout comme dans d’autres cultures et en particulier dans les sociétés d’Afrique noire, les malades ne peuvent se contenter des soins du corps. Ils ont à combattre et à se débarrasser de forces , d’êtres naturels ou surnaturels encombrants ou maléfiques avant de consulter un médecin, ce qui va expliquer le passage quais obligatoire chez le tradi-praticien (peu souvent avoué) et les retards diagnostiques parfois dramatiques. En effet dans ces régions il n’y a pas de frontière entre croire et savoir. Tout à une cause et un lien avec l’environnement naturel. Seul le sorcier peut décrypter la cause profonde et essentielle de la maladie qui est l’expression d’un désordre dans le groupe familial ou ethnique. Le malade doit donc se soumettre à un rituel de purification pour retrouver sa place dans la société.
Quel étudiant en médecine peut comprendre cette double approche de la maladie s’il ne s’est pas rendu sur le terrain avec une curiosité nécessaire de bon aloi ?
Ces stages sont fondamentaux pour nos étudiants français appelés à prendre en charge des patients dans un monde multi-culturel. Ceci est une facette précieuse de l’intérêt d’un maintien de partenariat au long cours des structures institutionnelles et universitaires françaises avec un établissement hospitalier de ce type ! L’hôpital reçoit une clientèle souvent privilégiée de fonctionnaires et de leurs familles, mais il ne faut pas oublier qu’il est également l’hôpital des urgences de la ville.
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Il est aisé de constater lorsque l’on pratique la médecine en Afrique Noire, que le niveau d’études de certains patients ne gomme pas l’empreinte socio-culturelle ancrée profondément en eux.
L’ouverture d’un service d’accueil des urgences moderne en 2005 a créé un véritable appel de malades qui pose des problèmes de gestion quotidienne avec plus de 40 000 passages annuels.
L’établissement reste une référence grâce à l’expérience de décennies de pratique et la formation progressive d’une équipe de praticiens compétents nationaux issus de l’école du service de santé militaire de Dakar, conscients de leur responsabilité dans la qualité des prestations et la pérennisation d’une offre de soins optimale pour le pays.
A ce jour au Sénégal cette structure est :
– l’hôpital des militaires, des fonctionnaires et de leurs familles,
– l’hôpital des urgences de la ville 24h sur 24,
– Un centre de formation réputé des praticiens militaires, mais aussi de tous ceux qui veulent optimiser leurs connaissances de la prise en charge des patients en milieu tropical.
L’hôpital s’est doté des moyens modernes de gestion grâce à un département d’information médicale performant et à la mise en place d’un logiciel de gestion du patient. Au niveau médical, un réseau intranet et la radiologie numérique sont opérationnels.
La création d’un département d’ingénierie bio-médicale a été un pas décisif vers la modernité, permettant de considérer avec plus de sérénité la maintenance des matériels médico-techniques, « tendon d’Achille » des grands établissements hospitaliers éloignés des zones de compétences sophistiquées.
Depuis 2006, l’hôpital est ancré de manière plus importante dans les armées sénégalaises, pièce maîtresse du nouveau concept de « groupe hospitalier militaire dakarois » qui comporte également l’école d’application du service de santé et l’hôpital militaire de Ouakam, sa ligne budgétaire de subventions est passée du ministère de la santé au ministère des forces armées.
Une convention entre les services de santé des armées français et sénégalais a été signé en 2006, ce qui permet de renforcer les liens, d’augmenter les échanges en matière de formation, d’optimiser la gestion prévisionnelle des ressources humaines.
Les projets d’amélioration des infrastructures sont nombreux et programmés : construction d’un nouveau service des personnalités, d’un nouveau département de chirurgie spéciale et d’un service de psychiatrie.
L’hôpital a une politique de mise en place de techniques de pointe : chirurgie coelioscopique, neuro- endoscopique, endo-urologique, arthroscopique.
L’affirmation d’un « modèle de coopération réussie » est peut être prétentieuse ! On peut s’interroger sur les raisons du bon fonctionnement de cet établissement public hospitalier contrastant avec les difficultés rencontrées dans les grands hôpitaux universitaires de la ville de Dakar ? La réponse n’est pas simple. Il existe plusieurs facteurs favorables qui permettent cette différence :
– L’Hôpital Principal bien qu’il soit servi en majorité par un personnel civil , a toujours été dirigé par des médecins militaires assistés d’officiers d’administration du Service de Santé des Armées.
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– L’autorité y est univoque, contrairement à ce qui peut se voir dans d’autres structures où l’autorité du directeur n’est pas respectée, où chaque chef de service prend des libertés avec le règlement en vigueur.
– Le corps de praticiens hospitaliers militaires créé à l’image de ce qui existe en France est homogène, fidèle à certaines valeurs et traditions. Les responsables des services obéissent à un directeur médecin, de formation identique. Les cadres sont fiers de leur appartenance à cet hôpital d’instruction des armées, organe emblématique du service de santé militaire sénégalais.
– En 2007 l’optimisme mesuré est de règle pour l’avenir de l’établissement. La petite équipe d’experts français restera auprès des responsables sénégalais pour gérer au mieux cet hôpital, « catalyseur », elle permettra de garder les lignes directrices tracées pour que la future direction sénégalaise puisse continuer avec toute l’efficacité requise. Son rôle est le conseil, l’expertise et la participation à la formation.
– La coopération franco-sénégalaise a permis de construire une ossature solide à l’Hôpital Principal. Le maintien d’un partenariat devrait sécuriser les acquis, continuer à développer les compétences et les échanges enrichissants pour les praticiens des services de santé sénégalais et français.
L’Hôpital Principal de Dakar, c’est le fruit d’une longue histoire entre la France et le Sénégal. Sur le continent noir en pleine évolution, soumis aux contrastes de ses racines ethnoculturelles et du vent de la mondialisation, il est important que les élites médicales sénégalaises puissent continuer à faire fonctionner de la meilleure façon possible ce remarquable outil de soins et de formation, façonné au cours des décennies et dont elles ont aujourd’hui l’héritage !